Par Maître David ANTOINE, Avocat au Barreau de Nice, Docteur en Droit, Enseignant. Thème : Fiscal – Sport
Faut-il taxer les salaires des sportifs comme celui des salariés de droit commun ? Le principe de l’égalité devant les charges publiques s’y oppose. Toutefois le Conseil constitutionnel juge de manière constante que le principe d’égalité « ne s’oppose (pas)i à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes » (voir aussi C.E. 25 juin 1948, société du journal l’Aurore ; 9 mars 1951).
Or, le joueur professionnel n’est pas un salarié comme les autres. Ne dit-on pas que les joueurs sont « vendus » pendant la période de transfert. Le sportif serait un salarié spécifique (I). Le droit français lui reconnaît ce statut particulier (II).
I. – La spécificité du sportif salarié
A la différence des entreprises purement économiques l’entreprise sportive ne vend pas un produit ou un service, mais un résultat sportif lequel dépend du talent des joueurs. Ce talent confère au sportif un rôle particulier.
Pour un salarié traditionnel il est relativement aisé de le remplacer sans perturber le fonctionnement de l’entreprise. Les résultats financiers de cette dernière dépendent essentiellement du produit ou du service offert à la clientèle et de l’art du dirigeant. La main-d’oeuvre, même qualifiée, influe rarement, de façon personnelle, sur le chiffre d’affaires. Tout au plus un préavis sera nécessaire pour trouver un remplaçant au salarié sur le départ.
Pour le sport il est presque impossible d’opérer un remplacement sans modifier les résultats de l’équipe sportive. Du fait de leur talent les joueurs ne sont pas interchangeables. La prestation sportive de chaque athlète est unique. Certes, on peut modifier la composition d’une équipe sans faire disparaître le club, seulement ses résultats s’en ressentent.
Il suffit pour s’en convaincre d’observer la responsabilité qui pèse sur le sélectionneur d’une équipe nationale. On peut aussi le montrer en rappelant le chemin parcouru par l’Olympique de Marseille depuis sa victoire en coupe d’Europe en 1993. La “vente” de ses meilleurs joueurs l’a empêché pendant longtemps de dominer les compétitions nationales et européennes. En 1998 elle revenait au meilleur niveau grâce aux investissements réalisés pour constituer une bonne équipe (Dugarry, Pires, Ravanelli “acheté” 100 millions de francs). L’athlète-salarié a donc un rôle essentiel et original puisque c’est de sa prestation principalement que dépend la compétitivité du club.
Les joueurs apparaissent ainsi comme des valeurs économiques pour leurs clubs. Cette pratique qui vise à traiter le sportif salarié comme un élément patrimonial objet d’investissements est confirmée par le droit lequel permet la rétention et la commercialisation du talent du sportif.
II. – Un traitement juridique spécifique
Selon l’article 544 du code civil « la propriété est de droit de jouir et de disposer des choses… ». Or le droit permet au club de “réserver” et de “commercialiser” les droits d’utilisation sur le joueur comme il le ferait pour un bien. Dans cette optique il faut considérer que le droit ne traite pas le sportif salarié comme un simple salarié, mais également comme un actif patrimonial.
Ainsi il résulte des dispositions de l’article L211-5 du Code du Sport qu’à l’issue de sa formation le sportif qui entend exercer à titre professionnel la discipline sportive à laquelle il a été formé, peut être dans l’obligation de conclure avec son club un contrat de travail de 3 ans maximum. C’est pendant l’exercice de contrat de 3 ans que le club pourra « vendre » son joueur. Cette disposition légale est exceptionnelle car elle s’oppose au principe fondamental du libre choix de son employeur. En privant le joueur de cette liberté, on permet au club d’exercer un pouvoir de réservation sur l’utilisation de ce dernier, comme sur un bien. Le club formateur peut ainsi rentabiliser son investissement.
Ce pouvoir de rétention sur le joueur s’exerce également tout au long de sa carrière car un joueur sous contrat à durée déterminée ne peut pas démissionner. En effet, les fédérations nationales et internationales peuvent refuser au nouveau club l’homologation du contrat de travail d’un joueur professionnel démissionnaire. Cette pratique est validée par la jurisprudence française. Selon la Cour d’Appel de Paris, 21ème ch, 5 oct. 2006, n° 05/01880, « à défaut d’avoir été homologué par la ligue professionnelle de football, le contrat d’un joueur est nul et de nul effet ». C’est une différence essentielle avec un salarié de droit commun. Même si un salarié est soumis au respect d’une clause de non-concurrence celle-ci est limitée géographiquement de sorte qu’il peut toujours exercer son travail dans une autre région ou indemniser son entreprise. Dans le sport un joueur démissionnaire peut être dans l’impossibilité d’exercer son activité sportive dans aucun club français ou étranger.
Cette dérogation exceptionnelle à la liberté du travail permet au club d’exiger d’un autre club le versement d’une indemnité de transfert pour pouvoir embaucher le joueur en cours de contrat. Il est d’ailleurs habituel de dire qu’un club “vend” ses joueurs à d’autres clubs. Ce que le club “achète” c’est le droit d’utiliser le talent du joueur. C’est un droit que le club employeur tire du contrat de travail à durée déterminée de ses joueurs. Ce sont ces droits d’utilisation d’origine contractuelle auxquels il est fait référence lorsque l’on parle de capital “joueurs” (voir thèse « le fonds de compétition sportive » 1999).
L’utilisation d’un joueur est donc traitée juridiquement comme un actif que le droit permet de « réserver » et de « commercialiser ». Autrement dit, un club n’embauche pas simplement un salarié, il investit également dans un actif patrimonial.
Dans ce contexte la taxe à 75 % viendrait donc taxer de façon importante ce que le droit considère être un actif d’investissement. Or le droit fiscal encourage les investissements des entreprises, il ne les taxe pas. Cela reviendrait sinon à les brider. Il y aurait donc une contradiction entre la taxe à 75 % et les droits nationaux qui visent tous à protéger les actifs d’investissement sportifs pour préserver la compétitivité des entreprises.
Déjà en 2004 le Rapport GEVEAUX insistait sur la « nécessité de faire évoluer les règles sociales et fiscales qui s’appliquent aux sportifs professionnels sans tenir suffisamment compte de la spécificité de leur activité » (rapport Assemblée Nationale du 5 octobre 2004). Il en va de la compétitivité des clubs français.
Me David ANTOINE